Que cherchez-vous ?Cécile Treffort, historienne, spécialiste en épigraphie carolingienne
«L’épigraphie est une discipline récente, qui étudie ce qui est écrit pour la durée la plus longue et le public le plus large. Cela implique des supports (pierre, métal, bois, textile, vitrail, mosaïque, peinture murale…), des procédés décoratifs et des lieux d’exposition spécifiques, face à une entrée, par exemple. Notre équipe inventorie les inscriptions entre le VIIIe et le XVe siècle dans la France entière et s’intéresse de façon générale à l’évolution de la langue (du latin au français), des genres littéraires, des procédés graphiques et, bien sûr, au contenu des textes.
Le statut de l’écrit est très particulier au Moyen Age : avant le XIIIe siècle, seuls les clercs et de rares aristocrates savent lire, et même après, on n’écrit jamais quelque chose par hasard. Le texte a toujours une valeur très forte. On s’interroge aussi sur sa lisibilité, par exemple pour les inscriptions sur des vitraux très hauts ou celles enfermées dans une tombe. Dans ces cas particuliers, le texte s’adresse-t-il alors aux lecteurs ici et maintenant, à Dieu, au saint à qui a été offert le vitrail, ou est-il destiné à être lu à la fin des temps ?
Quant à moi, j’ai travaillé plus particulièrement sur les épitaphes à l’époque carolingienne (VIIIe-Xe siècle). Je cherche à comprendre leur mode de réalisation, leur finalité et leur place dans un rituel qui va de l’accompagnement du mourant jusqu’aux cérémonies commémoratives, au sein d’une culture imprégnée par le christianisme. On peut distinguer les épitaphes, textes inscrits sur la tombe, en lien direct avec le corps, et les inscriptions obituaires, sur le mur de l’église, qui rappellent le jour de la mort (rarement l’année) pour la commémoration anniversaire.
C’est toute la conception de l’après-mort qui est là en jeu, c’est-à-dire le temps entre la mort individuelle, le jugement dernier et la résurrection. Lorsque son âme a quitté son corps, le défunt ne peut plus rien faire pour son salut ; son temps de bienfait et de méfait est arrêté mais les vivants peuvent l’aider en priant, d’où la multiplication des demandes de prière sur les épitaphes, créant une sorte de chaîne de solidarité : les vivants prient pour ceux qui sont déjà morts en espérant que ceux qui leur survivront prieront pour eux. La prière cimente en quelque sorte la communauté chrétienne, à l’époque même où le cimetière rejoint systématiquement l’église, rassemblant les corps des fidèles non loin de l’autel où est célébrée l’eucharistie et où sont recommandés les défunts au Seigneur. La pensée théologique, qui y voit la réunion du corps du Christ, accompagne une évolution sociale, renforçant la solidarité au sein de la paroisse et du village.
L’épitaphe, enfin, peut également présenter un caractère politique, notamment dans le cas des souverains, pour lesquels elle est parfois non seulement un signe d’affection mais aussi un prétexte pour exalter le passé glorieux de la famille. Charlemagne a ainsi fait rédiger par Paul Diacre un cycle de cinq épitaphes pour son épouse, deux de ses sœurs et deux de ses filles à Saint-Arnoul de Metz, où sont cités, entre autres, Pépin le Bref et Charles Martel.»
Cécile Treffort est professeure en histoire médiévale à l’université de Poitiers, directrice adjointe du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale. Elle est responsable de l’équipe «Epigraphie, culture écrite et communication au Moyen Age» et de la publication du Corpus des inscriptions de la France médiévale.
Source: http://www.liberation.fr